Etape 1
IMPROVISATION
Il me faut décrire la maniere dont je dessine, l’improvisation en est le moteur. Je me suis inspiré de la méthode d’Alexander Cozens, parue en 1785, Nouvelle méthode pour assister l’invention dans le dessin de compositions originales de paysages.
L’approche d’Alexander Cozens, part de simples taches ou macules jetées sur une feuille, retravaillés par une suite de procédés pour obtenir des paysages originaux.
Au début de sa méthode, il explique que c’est une réflexion de Léonard de Vinci dans son Traité de la Peinture qui a confirmé son intuition.
“"Je ne saurais manquer de placer parmi ces préceptes un nouveau mode de spéculation, qui peut sembler mesquin et même ridicule, mais n'est pourtant pas sans efficacité pour exciter l'esprit à des inventions variées. Le voici: si tu regardes des murs souillés de taches, ou faits de pierres de toute espèce, pour imaginer quelque scène, tu peux y voir l'analogie de paysages au décor de montagnes, de rivières, de rochers, d'arbres, de plaines, de larges vallées et de collines disposées de façon variée. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures au mouvement rapide, d'étranges visages et costumes et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète."
La méthode de Cozens accorde une place importante au hasard et permet de se dégager de la simple imitation de la nature pour élaborer des compositions. Il décrit de façon méthodique les étapes de construction en utilisant la macule d’encre diluée.
Une macule est un assemblage de formes ou de masses sombres faites à l'encre sur une feuille de papier, et également de plus claires produites par les parties du papier laissées vierges.
Les formes sont grossières et dépourvues de signification, elles sont tracées promptement. Mais dans le même temps une disposition générale de ces masses apparait, produisant une forme significative. De cette forme générale se dégage le sujet, et c'est de là que découle le reste de la composition.
La macule n'est pas un dessin, mais un assemblage de formes accidentelles à partir duquel un dessin peut être réalisé. Elle est un aperçu ou une image brute de l'effet d'ensemble et donne une idée des masses de lumière et d'ombre, aussi bien que des formes, contenues dans une composition.
“Si l'on éloigne progressivement du regard un dessin achevé, les parties les plus petites apparaissent de moins en moins expressives; et quand elles sont devenues tout à fait indistinctes, les parties les plus importantes demeurant seules visibles, le dessin figure une macule, avec quelque apparence d'harmonie. A l'inverse, si une macule est placée à une distance telle que la rudesse de ses parties s'efface, elle représentera un dessin fini, mais empreint d'une énergie inhabituelle.”
A.Cozens
Etape 2
Etape 3
Mes dessins naissent de l’ombre , je crée des ouvertures lumineuses dans la profondeur du noir. Dans mes travaux sur papier, je partais de la page blanche, désormais avec cette technique de grattage, je vais retirer plusieurs fois des couches de poussières noires.
Je recouvre le support d’une bruine gris sombre et trace directement dans cette bruine des formes géométriques très simples, des débuts de perspective, sans me soucier de leur exactitude. Cette étape est cruciale et celle que je recommence le plus souvent. Il faut que je trouve un équilibre visuel où les formes vont me guider vers la suite : un trait doit en amener un autre. Le moment où je suis invité dans une direction n’est pas défini ; c’est par le geste et avec un esprit disponible que je peux sentir l’apparition de cette direction. Cela peut partir d’une perspective qui oriente le regard ou d’une lumière qui dévoile des formes
Une fois cette première étape réalisée, j’ai déjà une idée plus claire de la suite du dessin, bien qu’un renversement puisse toujours se produire.
A la fin de cette deuxième étape j’ai : des zones blanches, une zone grise d’une couche, un gris plus épais de deux couches. Et je reprends encore, plusieurs fois de suite. Les zones grises tendent vers le noir, l’obscurité du dessin grandit et chaque entaille blanche apparait comme une lumière de plus en plus forte.
Cette technique me rapproche de la manière noire en gravure. Plus précisément entre la manière noire et le monotype.
Les trois premières couches sont dédiées à l’identification des formes et à la construction générale du dessin. Les couches suivantes sont consacrées aux détails, sur lesquels je ne m’attarde pas. Généralement, la dernière couche est celle du tracé des ombres.
Le travail des détails mérite une réflexion plus approfondie. Je sens qu’il est facile de se perdre dans les détails et de vouloir améliorer chaque recoin du dessin. Je ne le fais jamais. Je me pose une limite stricte, car je sais qu’il y a un moment où la précision des détails me fait sortir du dessin et peut me faire perdre l’idée. Par ailleurs, je n’ai pas les compétences de dessin suffisantes pour pousser dans les détails réalistes, ce qui est une bonne chose. Comme je l’avais dit pour le musicien Steven Severin, je ne veux pas vraiment savoir dessiner. Malgré la contradiction avec mon intérêt pour le développement de ma technique et l’étude de celle des autres, je sais qu’il y a une étape, une frontière où un dessin que je suis en train de réaliser se trouve dans une zone floue entre symbolisme et réalisme.
J’identifie ce moment dans les dernières étapes de la réalisation, au moment où une pulsion naturelle à fignoler apparaît. En fignolant, j’emmène le dessin dans cette zone où les détails paraîtront insuffisants, à la fois trop détaillés et insuffisamment détaillés. Les images dans cet état me déplaisent profondément. L’excès de détails retire la vie intérieure du dessin et diminue la possibilité d’imaginaire qu’elles peuvent inspirer. Je veux donc garder mes dessins à la lisière de plusieurs directions possibles. Le sens du détail utile s’apprend et, à mon sens, je ne l’ai pas encore acquis.
Cette réflexion est en rapport avec les idées d'Adolphe Appia et les expériences issues des jeux vidéo que j’ai évoquées précédemment.
« Plein air nature, sans détail artificiel et n’ayant d’autre but que lui-même, dans ce cas, l’effet ne sera jamais atteint dignement par la plastique du détail, quelque habile qu’elle soit. La nature livrée à elle-même est trop vivante dans ses formes pour en permettre l’approximation plastique. Cette plastique fournit seule à l’imagination l’atmosphère qu’elle puisse développer au gré de la volonté poétique développée avec la précision unique de la suggestion. »
« Se tenir loin du pittoresque et éviter le charme de la forêt, nous ne cherchons plus à donner l’illusion d’une forêt, mais l’illusion d’un homme dans l’atmosphère d’une forêt. »
Structure II, peinture à la craie grattée, 70x100cm, Février 2024
Scène de l’acte III, peinture à la craie grattée, 100x70cm, Novembre 2023
RYTHMIQUE, peinture à la craie grattée sur filtre LEE, 100x70cm, 2023
GRILLE, peinture à la craie grattée sur filtre LEE, 100x70cm, 2024