ARCHITECTURE ET ARCHEOLOGIE

*Levi van Veluw (1985) est un artiste contemporain hollandais.

www.levivanveluw.com

Ma réflexion sur mon imaginaire architectural m’a amené à le voir comme un symbole de la volonté de maîtrise que je voudrais avoir sur mon environnement. Je peux interpréter ce changement de style de cette manière : passant de dessins envahis de créatures et de biologie incontrôlable à des environnements d’une simplicité parfois carcérale, les géométries simples me semblaient manifester une prise de contrôle sur mon imaginaire. J’avais estimé que mon travail obsessionnel m’enrayait dans une répétition qui ne me semblait pas saine. Je ne voulais pas être un artiste tournant en rond, si j’avais réussi à me sortir d’une certaine routine créative, ce travail devait être répété de même avec mon nouveau style de dessin. Pour éviter cela, il fallait le questionner et être vigilant sur les solutions de facilité qui s’installent en moi et le moyen que j’avais trouvé était de maintenir l’environnement qui m’entoure sous contrôle, en organisation.

Dans sa série The Collapse of Cohesion, l’artiste *Levi Van Veluw aborde les thèmes du chaos et de la désorganisation. Il avait abordé auparavant l’ordre, le contrôle et l’espace structuré à travers des dessins architecturaux, dans cette série ce sont ces ensembles qui se désintègrent, chaises qui tombent, amas et chutes de planches, billes enfantines qui se dispersent, c’est l’ordre naturel des choses qui rappelle à lui les constructions humaines.

Pour Josef Svoboda, l'architecture ne se réduisait pas à une discipline technique, mais représentait la vie elle-même : "En réalité, c'est la vie, pas une discipline abstraite - un aspect de la vie, une organisation de la vie, le plan de la vie. Cela a consommé tout mon intérêt. Cela nécessite la prévoyance de la sociologie et de la psychologie ; il faut connaître l'histoire et savoir la déchiffrer. Il faut être capable de saisir les relations ; l'architecture devient une sorte de puzzle de la vie que vous devez résoudre. À la Renaissance, elle était considérée comme la reine des arts, une discipline directrice en relation avec les autres arts et la vie elle-même."

Salle sombre avec murs en briques, tables simples et petits tabourets, et une porte ou un passage au fond, en style minimaliste.
Une structure de plateforme en bois en désintégration avec des roches tombant du ciel, représentant un environnement apocalyptique en noir et blanc.
Une pièce sombre avec des étagères en bois vides et des pierres au sol, ouverture arquée laissant entrer la lumière.
Une sculpture abstraite en métal noir représentant une structure de formes géométriques, avec des cubes tombant et dispersés autour.
Une scène abstraite représentant un tunnel ou un puits en 3D avec des cubes en bois, créant une illusion de profondeur et de perspective.

Foundation III, Levi Van Veluw

Vue en perspective d'une structure complexe d'escaliers et de balustrades en béton, formant un motif géométrique dans un bâtiment en construction, en noir et blanc.

Orpheus and Eurydice, Josef Svoboda

XENAKIS, architecte musicien

Pour le pavillon Philips de l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles. Le Corbusier en a confié à Iannis Xenakis la conception des volumes, à Edgard Varese la musique (son fameux Poème électronique). L’ingénieur-architecte-musicien expérimente ses coques minces en béton pour la couverture, agence les surfaces courbes en imaginant une forme inédite en architecture : celle d’un “paraboloïde hyperbolique”. Il utilise ici les esquisses graphiques de la partition de Metastasis, alors que Metastasis était déjà l’application musicale d’une idée mathématique, déduite de ses règles et de ses procédures propres (analyse de la formation des structures géométriques à base de courbes et de droites projetées en deux dimensions sur un plan d’architecte et qui, transposées en sons, serviront de partitions musicales).

Un dessin en noir et blanc d'un bâtiment moderne avec une structure géométrique complexe, entouré de quelques silhouettes humaines pour l'échelle, avec une annotation indiquant une largeur de 200 mètres par mètre.

Pavillon Philips - Esquisse de Xenakis

Schéma technique avec un graphique en 3D, annotations manuscrites, formules mathématiques et notes en français.

Pithoprakta (1955-56) graphique de Xenakis

Schéma de courbes de fréquence ou de modulation musicale, représentant différentes notes et cordes. Inclut des annotations musicales avec notes et lignes horizontales.

Partition de Xenakis pour Metastasis

Une image en noir et blanc représentant une fenêtre en arche avec du grain ou du bruit dans l'image.

Illustration pour Jesus’Blood Never Failed Me Yet, 2024

Après avoir réduit mon expression à des espaces architecturaux, j’ai entamé une réflexion sur leur nature. Si mon dessin, une fois épuré des créatures, se trouvait réduit à un décor bétonné en apparence stérile et abandonné, dont on devine par les formes qu’il a eu un concepteur probablement humain, d'où viennent ces décors dans mon imaginaire ?

L’influence de ma ville est évidente : Le Havre, rasée pendant la guerre et reconstruite par Auguste Perret selon une structure modulaire et un usage innovant du béton, croisant l’esthétique de celui-ci avec des références visuelles de l’Antiquité romaine. L’église Saint-Joseph est le symbole du brutalisme havrais, et j’y ai passé des heures en contemplation de ses espaces massifs, de sa perspective vertigineuse et de la façon dont la lumière irradie les volumes.

Vue intérieure de l'église St Joseph du Havre avec un plafond en forme d'octogone, vitraux colorés et une structure centrale suspendue de lumière.

Eglise Saint-Joseph du Havre

Vue intérieure de l'église St Joseph du Havre avec un plafond en forme d'octogone, vitraux colorés et une structure centrale suspendue de lumière.
Une œuvre d'art abstraite en noir et blanc avec des lignes géométriques, cercles concentriques et structures symétriques évoquant une architecture futuriste ou un design industriel.

MOLK, chalkpaint on LEE filter clear, 80x120cm, 2021

WALL AS A ROOM

“Un mur peut être une structure qui procure sécurité et qui, parfois, supporte le poids d'un toit pour former un abri. Un mur peut diviser un intérieur et un extérieur, orienter les mouvements à l'intérieur d'un bâtiment ou matérialiser une frontière, diviser deux propriétés ou même, - physiquement et symboliquement -, devenir une barrière entre deux régions différentes. Dans certains cas, une enceinte agrandie peut abriter un espace en soi : le mur habitable dissimule un domaine ambigu dans son épaisseur, une zone interstitielle à la limite entre deux conditions : l'intérieur et l'extérieur.”

Fosco Lucarelli and Mariabruna Fabrizi, fondateur du site SOCKS STUDIO

Plan architectural d'un bâtiment historique, montrant différentes extensions ou modifications depuis le 12ème siècle, 15ème siècle, et modernité, avec échelles en mètres pour référence.

Dover Castle, Kent, England, 1180

Plan d'étage d'une structure architecturale circulaire avec plusieurs pièces organisées autour d'un espace central. Des escaliers et différentes zones délimitées par des murs sont visibles sur le plan.
Plan de la structure d'un bâtiment, montrant le rez-de-chaussée, le premier étage, le deuxième étage, le troisième étage, le quatrième étage et le toit.

Orford Castle, Suffolk, England, 1165-1173

Dessins architecturaux de plans de bâtiments anciens, incluant différentes natures de structures et niveaux

Louis Kahn - Fortified church in Transylvania


Schéma ou plan d'une maison ou d'un bâtiment avec plusieurs pièces, vues en perspective, avec un style dessiné ou esquissé.

Ex-Libris Boczna 20, Marcin Bialas gravure, 11x13cm, 2008

Marcin Białas, né en 1977 à Zawiercie, Pologne, est un artiste spécialisé en gravure et dessin. Diplômé de l'Académie des Beaux-Arts de Katowice en 2004, il a rejoint le corps professoral et obtenu le titre de Docteur en Arts en 2011. Actif depuis 2003, il participe à de nombreux festivals de gravure en Pologne et à l'étranger.


Plan architectural d'une grande salle avec plusieurs piliers et entrées, vue de dessus.

Le Thersilion est un grand bâtiment rectangulaire de la ville grecque de Megalopolis comprenant un auditorium avec 65 colonnes, pouvant accueillir jusqu'à 8700 personnes assises sur des bancs en bois.

L'aspect le plus frappant du bâtiment apparaît dans le plan avec une disposition apparemment aléatoire des colonnes. En réalité, les colonnes suivent une logique rigide stricte selon laquelle le centre est visible de tous les points dans la grande salle d'assemblée.


Une œuvre d'art abstraite en noir et blanc avec des formes géométriques rectangulaires et des jeux d'ombres.

3 rue CMPN, acrylique grattée sur acétate, 50x70cm, 2022/2023

Louis Isadore Kahn (1901 - 1974) à New York) est un architecte américain d'origine estonienne, considéré comme l'un des plus grands architectes du XXe siècle. Ses œuvres principales se trouvent aux États-Unis, en Inde et au Bangladesh. Ses réalisations, accordent une attention particulière à la vie communautaire. Son langage architectural se distingue par un travail rigoureux sur le plan, l'épaisseur des parois, la lumière et les matériaux, notamment la brique et le béton armé.

Louis Kahn était connu pour son intérêt pour les châteaux écossais, à travers lesquels il a élaboré la distinction entre les "espaces servis" et les "espaces servants", "avec de grandes salles de séjour centrales et des espaces auxiliaires nichés dans de gros murs extérieurs". Les châteaux ont été une forte source d'inspiration pour des œuvres ultérieures telles que l'Église Unitarienne à Rochester et le Erdman Hall au Bryn Mawr College.


EXCAVATIONS

Plan architectural d'une grande structure bâtiment avec plusieurs niveaux, portes, et une grille dans le bas, avec des mesures en mètres.

3 rue CMPN

Ce dessin représente l’appartement dans lequel je vis, avec l’espace extérieur hors de vue, comme si mon espace de vie était encastré à l’intérieur d’un mur épais ou entouré d’une muraille.

L’habitat est un espace sécurisé, enclavé par l'infrastructure de logement. Il concerne un lieu occupé et organisé de manière à satisfaire l'un des besoins les plus importants dans la hiérarchie humaine : la nécessité de sécurité et d'existence dans un espace social.

Les faisceaux lumineux symbolisent à la fois les ouvertures possibles et la sortie de la caverne, mais aussi la menace, la surveillance. Ils découpent des zones d’ombres où l’on est à l’abri des regards.

Cette série de dessins ci-dessous est à mettre en relation avec les plans des églises fortifiées ci-dessus. Les murailles servent à protéger deux entités : celle de la foi et celle de l’enfant.

Cette série représente des lieux de mon enfance sous la forme de plans de fouilles archéologiques.

Seules les formes principales sont représentées, les relevés des artefacts n'ont pas encore été effectués. Ces dessins montrent à la fois un lieu particulier de ma mémoire, dont je dessine les contours imprécis, et l'ajout de murs d'inspiration ancienne, allusion à la protection de ces lieux où l'enfant a grandi ainsi qu'à la préservation et la protection de mes propres souvenirs, irréparablement déformés.

TUMULUS

De nombreuses tombes étrusques en Italie sont abritées dans des tumulus funéraires ronds construits en terre et en pierres. Ces tumulus reproduisent la maison d'origine de la famille du défunt. Ils reposent sur une base circulaire en grès appelée "tamburo", surmontée d'un pseudo-dôme en dalles de calcaire disposées en cercles concentriques de diamètre décroissant pour former une voûte. Le dôme est ensuite recouvert de terre compactée pour l'isoler et entouré d'un anneau de pierres de petite taille.

Ces constructions peuvent être isolées ou regroupées, formant des ensembles semblables à des villes appelés « nécropoles ». Ce type de tombeau appartient à la première période de la civilisation étrusque, à la fin du VIIIe-VIe siècle avant notre ère

Plans dessinés d'une base militaire ou d'une installation de stockage, comprenant une vue en coupe et une vue de dessus, avec différentes structures et infrastructures.
Une illustration architecturale en noir et blanc montrant la façade d'un bâtiment avec des colonnes et des éléments géométriques.

Il est difficile de séparer mon rapport à l’architecture de l’archéologie. Une grande part de mes œuvres récentes sont en lien avec des structures architecturales, des formes géométriques et les vestiges archéologiques. J'explore le langage visuel associé à ces thèmes pour créer une dimension singulière souvent en lien avec mon enfance, utilisant des symboles reconnaissables pour susciter une réflexion sur la foi et l'invisible. Paysages architecturaux indéfinis, espaces de vie abandonnés et restes de structure ordonnée. Mes dessins usent de la répétition de formes austères et statiques où la présence humaine est absente.

Robert Wilson présente le temps comme une ligne verticale, et l’espace comme une ligne horizontale, chacune pouvant transiter avec l’autre, le croisement en étant le coeur de l’activité humaine. Si je visualise la ligne horizontale je situe le paysage et la vue stéréoscopique humaine, si je visualise la ligne verticale je vois le temps archéologique, les couches de matière qui recouvrent les structures du passé, les strates qu’il faut gratter lentement pour découvrir ce qui est enterré. A Istanbul, une célèbre maison présente plusieurs couches des différentes époques, la période turque moderne et ancienne, ottomane, byzantine, romaine et grecque. Je m’intéresse à l’évolution d’un paysage à travers l’architecture, chaque génération recouvrant les autres. J’ai développé cette idée dans une esquisse vidéo présentant un paysage changeant, à la façon d’un changement de décor dans un opéra.

Ancien bâtiment en ruines avec plusieurs fenêtres et un mur extérieur usé, entouré de végétation et sous un ciel bleu.

Strates archéologiques - Istanbul

Evolving Landscape - Esquisse

A travers ma technique, je suis le même processus ; mes dessins apparaissent de la même manière, émergeant des couches de poussières noires. La première forme est floue, on identifie les structures ; la deuxième couche permet d’étoffer et de comprendre l’organisation de cette structure, et plus les couches sont fouillées, plus la vision devient précise jusqu’à ce que l’on puisse identifier et tirer des conclusions. A une échelle plus grande, chacun de mes dessins représente une couche de mémoire que j’exhume et qui se recouvrent les unes sur les autres, masquant et déformant ce qu’elles étaient.

J’ai un rapport ambivalent avec l’archéologie. Plus jeune, j’étais fasciné par l’imaginaire antique, surtout par la période romaine et grecque, comme beaucoup de jeunes garçons. J’étais obsédé par la figure d’Alexandre le Grand, lisant tout ce qui me tombait sous la main, tenant des comptes précis de ses armées à différents moments de son épopée, redessinant les plans de bataille et calculant les besoins logistiques en lances, boucliers, foin et nourriture pour une armée en mouvement. Une grande partie de son génie stratégique me fascinait.

Par la suite, j’ai commencé à questionner cette fascination pour les grands conquérants, en particulier Alexandre. J’ai réalisé qu’il présentait des traits de psychopathie dans son comportement humain et politique, rappelant les figures modernes des entrepreneurs agressifs de la tech. Alexandre le Grand a renversé l’Empire perse, souvent décrit dans la littérature comme opulent, cruel et barbare, tout comme la façon dont la narration romaine présente Carthage comme un symbole de cupidité et de perfidie.

Par un hasard heureux, en arrivant dans mon nouvel atelier à Caen, j’ai eu comme voisine Satie Uwada, la peintre et veuve d'Yves Modéran, l'un des grands spécialistes, entre autres, de l'Afrique antique. Il a notamment participé aux fouilles de Bulla Regia et de Timgad. Par la suite elle m'a ouvert la bibliothèque de son mari et permis l’accès à des documents rares.

Cette réflexion m’a progressivement éloigné des figures antiques classiques de l’Occident pour m’intéresser davantage aux Perses et aux Puniques, en particulier Carthage, un intérêt qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Cependant, ces questionnements n’ont pas encore trouvé leur expression dans mon travail artistique. Je réalise que mon regard a été façonné par une perspective occidentale idéalisée de l’histoire antique, où Rome et la Grèce sont glorifiées comme le berceau de l’Occident, tandis que Carthage et Persépolis sont représentées comme leurs antithèses.

C’est une voie de réflexion que je compte explorer dans les années à venir, en abordant à la fois l’angle historique et personnel. En me penchant sur la psychologie et les neurosciences, je découvre comment je peux écrire, à ma manière, comme une nation écrit son propre récit national, comme un entrepreneur écrit sa success story, en organisant mes souvenirs et en prenant conscience de la manière biaisée dont je peux les raconter, parvenant ainsi à me convaincre de leur véracité, grâce à la capacité du cerveau à créer des souvenirs ex nihilo. Cette observation s’applique aussi à l’histoire familiale, cette vision de l’histoire, en plus d’être occidentale, est aussi purement bourgeoise. Je suis étonné du contraste entre le récit glorieux et le déni des horreurs commises, ça me rappelle le film Festen de Thomas Vinterberg, commençant comme un film charmant de souvenirs familiaux avant que le vernis n’éclate.

Plan architectural détaillé d'une grande ville ou campus avec plusieurs bâtiments, rues et espaces ouverts.

La ville romaine de Timgad, la Pompéi africaine

Carte des tombes puniques de Dermiech avec légendes et symboles indiquant différents types de tombes et fosses, d'après P. Gaukler, Nécropoles.

J’ai pu identifier une autre influence qui ne me semblait pas évidente au premier abord : le jeu vidéo. Par habitude de voir le jeu vidéo exclu des considérations artistiques, je n’avais pas pensé chercher dans mes expériences vidéoludiques des influences sur mon travail artistique. Pourtant, le jeu vidéo est aussi présent dans mon imaginaire que le cinéma et la musique, réunissant en une seule expérience l’immersion solitaire, la narration, le visuel, les différentes formes de son et, bien évidemment, l’interaction.

Ma prise de conscience du jeu vidéo comme une forme d’art est venue grâce à une œuvre majeure sortie en 2010 : Limbo. Analyser l’influence de ce jeu m’a permis de regarder dans le rétroviseur et d’examiner quels étaient les jeux qui m’ont marqué, que ce soit il y a longtemps ou plus récemment.

Je vais faire un aparté dans les prochaines pages pour parler rapidement de ces différents jeux, chacun ayant une importance singulière.

LIMBO
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