Institut Supérieur des Techniques du Son - Paris
J’ai passé trois années dans l’ESRA, de 2009 à 2012, elles ont été riches mais le bilan est mitigé.
Elles m’ont beaucoup apporté en termes de découverte artistique, étendant les directions que j’avais déjà défriché, grâce aux cours de design sonore et d’histoire de la musique et du son, j’ai pu découvrir notamment la musique concrète, les concerts et le travail du GRM* à Radio France, les recherches de l’IRCAM, me donnant de nouvelles perspectives à explorer. J’ai passé ces trois années à explorer, à piller les rayons disques des bibliothèques, à brûler mes lecteurs CD à force d’écouter et de copier des disques. La même chose se faisait avec le cinéma, en écumant les petits cinémas du quartier latin, une partie de la formation étant axé sur le son dans l’image, J’ai pu continuer ce que j’avais esquissé dans mon expérience au théâtre.
Acousmonium 1974 : Orchestre de haut-parleurs pour l’interprétation sonore dans l’espace
Pourtant quelque chose n’allait pas. Deux choses précisément : d’ordre professionnel et créative.
La première est que, au delà de toutes ces découvertes et de cette euphorie de curiosité, le but premier de cette école était de faire de moi un ingénieur du son, un technicien et tout occupé que j’étais à découvrir et explorer, j’ai négligé de développer au maximum mes compétences techniques et de réaliser les stages qui me permettrait d’arriver à un travail professionnel à la sortie de l’école. Les stages que j’ai eu ont été fait dans deux studios, l’un spécialisé dans l’enregistrement à l’ancienne sur magnétophone à bande et l’autre studio était celui d’un groupe d’avant garde des années 80, Urban Sax.
Les deux expériences étaient évidemment intéressantes mais représentaient professionnellement des voies sans issues. Le premier studio était dans une frange réduite de la musique et la crise de l’industrie musicale ayant frappé fort, n’était pas en capacité de me salarier, et pour l’autre studio, le groupe Urban Sax était en fin de carrière et n’avait plus l’ambition débordante et les moyens dont ils disposaient auparavant. Je me retrouvais le bec dans l’eau, réalisant trop tard que mes compétences techniques étaient trop éparses, trop “vintages” pour maintenir ma vie à Paris.
L’autre versant concernait la création sonore. J’ai essayé plusieurs directions pendant ses 3 ans dans l’école, dans la solitude de mes appareils audio, j’essayais tant bien que mal de composer, d’arranger, j’avais une pratique sonore quotidienne, j’avais obtenu un contrat d’édition et de musique à l’image mais je ne parvenais pas à prendre pied et à finir mes projets. Je n’arrivais pas à prendre confiance dans mes réalisations sonores et à les élever en dehors de la sphère expérimentale. J’ai réalisé une analyse critique pour essayer de comprendre ce qui me bloquait créativement et qui m’empêchait de m’exprimer. J’ai réalisé que mon accumulation de connaissances et la culture musicale que j’avais me pénalisait lorsqu’il s’agissait de créer, tout ce que je pouvais réaliser passait inconsciemment par un filtre comparatif avec ce que je connaissais déjà et je n’arrivais pas à ne pas juger négativement ce que j’entendais de moi.
Il y avait un problème d’égo vis à vis de la création musicale, par mes connaissances en musique, j’avais l’illusion d’être en capacité de créer quelque chose de remarquable et d’original. Évidemment, rien de remarquable ne sortait de mes enceintes, engendrant une frustration terrible et lentement, à mesure que ce sentiment persistait, moins je pratiquais la musique avec assiduité, moins je composais et mécaniquement, la qualité continuait de baisser.
Et c’est à ce moment là, mi 2012 jusqu’à 2013 que le dessin est apparu.
Actuellement je n’ai toujours pas vaincu ce blocage créatif concernant le son, mais je me suis tourné avec le temps vers une autre pratique sonore impliquant moins de création : le field-recording ou enregistrement en extérieur. Équipé d’un matériel de prise de son spécifique, j’arpente des lieux, des paysages pour prélever les sons qui m'intéressent, sans penser à une construction en studio par la suite. Certaines prises de son se font sur le vif, de manière spontanée, tandis que d’autres nécessitent une installation un peu plus élaborée.
Par exemple, voici un enregistrement d’un grand rassemblement de corneilles au crépuscule, à une heure très précise de la soirée, elles croassent toutes. Il m’a fallu repérer l’endroit idéal pour les enregistrer. Sachant qu’elles sont installées au sommet de peupliers, je ne pouvais pas me permettre d’être présent sur place sans risquer de les perturber. La prise de son devait donc se faire toute la soirée jusqu’au lendemain matin. Plusieurs heures avant, j’ai installé les micros dans l’arbre, l’enregistreur sur le tronc, protégé dans un étui imperméable et camouflé, alimenté par une batterie pour enregistrer en continu. Il ne restait plus qu’à attendre le lendemain et espérer qu’il n’y ait aucun incident.
Pithoprakta (1955-56) graphique de Xenakis
*Pierre Schaeffer, (1910-1995), est un ingénieur, chercheur, théoricien, compositeur et écrivain. Il a également été homme de radio, fondateur et directeur de nombreux services. Il est considéré comme le père de la musique concrète, de la musique acousmatique et de la musique électroacoustique.
*Groupe de Recherches Musicales
*L’Institut de recherche et coordination acoustique/musique